🔨 Brève 🔨 déconstruction des préjugés carcéraux

"Marc Dutroux a une télé, comment se fait-il qu’il soit si bien loti ?"

Dans les faits, tout est payant en prison, et plus cher qu’à l’extérieur (voir le témoignage d’Inayah* ci-dessous). Oui, le système pénal (re)produit les inégalités, la domination et l’exploitation des classes populaires jusque dans les cellules. Et cela se répercute en dehors des murs, sur les familles et proches des détenu.e.s devant subvenir à leurs besoins.

De manière plus générale, la possibilité de jouir d’un confort minimal ne réduit en rien la violence inhérente à l’enfermement. Une cage d’or n’a pas d’autre fonction qu’une cage, si ce n’est mentir à l’oiseau qui s’y trouve enfermé. (Voir l’extrait d’Elise Yvorel*) .

De plus, ce genre de questions provient d’un désir de punition qu’il faut questionner « Pourquoi est-il si bien loti ? » revient à demander « pourquoi ne souffre-t-il pas plus ? ». La privation de liberté, qui est déjà une violence immense en soi devrait s’accompagner de souffrance pour être « efficace » ou « juste ». Comme si une personne inculpée « méritait » de souffrir pour purger sa peine. D’une part, on retrouve une idée de vengeance que la société, via la Justice, devrait exercer sur le corps de la personne jugée déviante. D’autre part, l’idée que seule une bonne dose de souffrance infligée pourrait « redresser » cette personne. Or on voit bien que ces deux idées incluses dans la question sont violentes et mensongères : la souffrance ne devrait être pensée comme juste châtiment ou comme apprentissage.

De l’adaptation à la révolte : la souffrance carcérale des jeunes détenus (extrait) Élise Yvorel.

« Il apparaît évident que l’amélioration du confort, ne saurait seul remédier à la violence inscrite dans les murs et à la souffrance que génère le système carcéral. Des individus enfermés dans un palace pénitentiaire des plus luxueux sont, par le fait même de l’enfermement et de la coercition, amenés à développer une série de comportements pathogènes majoritairement violents (...). La prison, loin d’être éducative, enseigne au détenu qui y séjourne des pratiques et des méthodes propres à s’adapter à l’enfermement et à la cohabitation avec des individus que seul le hasard a placé sur son chemin. (...)
La violence morale sécrète une souffrance (...) obligatoire, immuable, inchangeable, rien ne saurait y remédier. C’est un argument repris par les prisonniers eux-mêmes sous la forme d’une sentence désenchantée et sans appel, « la prison ça ne sert à rien ».
Sources : https://books.openedition.org/pur/6699?lang=fr
https://oip.org/…/tout-est-il-gratuit-en-prison-pour-les-p…/

° Témoignage d’Inayah, 26 ans. Journal de détention 1/5, 29 juillet 2014 :
On manque de tout en prison. Pour l’hygiène par exemple, il y a un kit de toilette gratuit qui est distribué, mais il est insuffisant. Le papier toilette est payant ! On doit acheter tout ce dont on a besoin via le catalogue de la prison, qui s’appelle la cantine où le choix est limité et surtout les prix sont très élevés : tout y est plus cher qu’à l’extérieur. On y trouve de la nourriture, mais aussi des produits d’entretien etc. Si on veut manger correctement, il faut cantiner. J’ai vraiment vu des filles qui n’avaient pas les ressources suffisantes pour le faire, avoir faim. Il y a, de manière générale, une multitude d’abus autour de l’argent, autour de ce qu’on nous fait payer en prison. Le téléphone est extrêmement cher, alors qu’à l’extérieur on voit des gens qui ont des forfaits illimités pour trois fois rien. Un autre abus qui n’a l’air de rien : quand on veut se faire photographier, les clichés sont réalisés avec un appareil numérique de la prison (et c’est de mauvaise qualité) mais c’est 1,20 euros la photo.
Quant au statut d’indigent (statut qui permet de bénéficier d’une aide si l’on n’a aucune ressource), il est absurde : pour toucher 20 euros en tant qu’indigent, il faut avoir perçu moins de 50 euros en deux mois. 20 euros en détention où tout est payant, ce n’est rien, c’est vraiment la misère. Par exemple avoir un poste de radio, un lecteur DVD, une plaque électrique pour chauffer à manger, c’est un luxe (alors que ces petites choses permettent de « tenir »). Exemples de prix : Une petite plaque électrique c’est 40 euros, un poste de radio, 75 euros et un lecteur DVD, 50 euros. Alors que la moyenne du salaire en prison, quand on a la « chance » de travailler, c’est 150 euros !
Source : https://www.humanite.fr/inayah-26-ans-journal-de-detention-…