Les « Maisons de Transition » INUTILES et DANGEREUSES ?

Article de La CLAC - No prison (Collectif de Lutte Anti-Carcérale)
🔨 [Déconstruction des préjugés carcéraux] 🔨
5 novembre 2019 (10 minutes)

Début septembre 2019 était inaugurée la Maison de Transition pour détenus à Malines, une deuxième maison voit le jour à Enghien en janvier 2020. Beaucoup de voix ont loué cette initiative du ministre de la justice Koen Geens destinée « à donner la possibilité à un détenu de se préparer à sa réinsertion dans la société ». Et en effet, quand on connaît les chiffres de la récidive, toute mesure permettant de diminuer les chances qu’un.e détenu.e retombe dans les rets du système carcéral n’est-elle pas souhaitable et à applaudir ?

Mais de quoi s’agit-il précisément ?

Une maison de transition est un projet à petite échelle dans lequel un détenu, qui est sélectionné sur la base d’une série de critères, prioritairement mais pas seulement en rapport avec son profil de sécurité, se voit donner la chance de séjourner, d’ici la fin de la durée de sa peine restant à purger, dans une maison où un travail est effectué selon un certain nombre de principes, tels que habiter en autonomie, chercher un emploi, entreprendre des relations et réussir à s’en sortir de nouveau hors des murs. En d’autres termes, on se base sur une philosophie d’une politique d’inclusion s’agissant de l’accessibilité aux services sociaux réguliers. Pour ce faire, il faut, d’une part, un parcours d’accompagnement intégral et, d’autre part, une plus grande liberté d’aller et venir. L’objectif est d’accompagner le détenu et de le soutenir pour qu’il puisse retrouver une place au sein de la société. Ce projet peut également constituer une bonne alternative au système actuel de détention limitée. Le détenu est préparé, d’ici la fin de sa peine, à vivre de façon autonome, à travailler et à s’en sortir au sein de la société.

Traduisons : une structure de 15 places, où certains détenus masculins sélectionnés sur des critères arbitraires (il s’agira bien souvent de la réputation d’un détenu auprès de la direction et des matons, chose éminemment subjective) pourront purger leur fin de peine. Un encadrement spécifique leur sera dédié pour « préparer » le détenu à réintégrer la société. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit nullement d’une remise de peine ou d’une libération conditionnelle : le détenu ira bien jusqu’au bout de sa période d’incarcération.

Et maintenant, commençons à gratter !

1. Comme à la maison ?

Ces détenus auront une plus grande liberté d’aller et venir, nous dit-on.
On parle aussi de maison et non plus de prison, de chambres et non de cellules, de résidents et non détenus.
Cependant il ne faudrait pas y voir une détention light : à lire le règlement interne de la maison de transition de Malines, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un règlement classique d’une prison où le détenu voit son quotidien encadré par une série de règles qu’une institution lui impose, par une obligation de respecter horaire et activités qu’il ne choisit pas, par des procédures qui lui dictent quand il peut voir ses proches.
Bref, les maisons de transition sont des prisons tout autant que Saint-Gilles ou Lantin, moins la vétusté et la surpopulation. Preuve en est quand le ministre de la justice précise que «  les allées et venues y seront régies comme en prison. En outre, le bâtiment est équipé d’un système de caméras de surveillance et de contrôle d’accès  ».

Nous ne voulons pas un monde avec de jolies petites prisons, nous voulons un monde sans prison car enfermer ne peut jamais être la solution, tant pour les détenu.e.s que pour les proches de celle-ci. Les maisons de transition n’arrêteront ni la stigmatisation ni la violence inhérentes à l’emprisonnement, elles ne sont pas une partie de la solution mais bien une partie du problème à supprimer.

2. Transformer les mauvais sujets ...

Dans ces maisons, les détenus sont « préparés » à réintégrer la société. Si implicitement cela confirme que toute prison a pour mission de désintégrer et discipliner un individu pour qu’il devienne un détenu, se cache derrière ces discours en réalité une conception effarante du détenu, du citoyen et de la vie en société.

Petit florilège de ces déclarations hallucinantes qui précisent les modalités de cette réintégration :

Nos collaborateurs aideront [les détenus] à différents niveaux, à savoir trouver un emploi et un logement, construire un réseau social et donner un sens à leur vie. L’objectif est de permettre aux résidents d’œuvrer à la réussite de leur réinsertion et de pouvoir, à l’issue de leur peine, se construire une nouvelle vie et se prendre en charge.
Les détenus reçoivent vers la fin de la peine l’opportunité de passer la dernière partie de celle-ci dans une maison de transition pour y être encadré et assisté de manière intense afin de pouvoir par la suite mieux fonctionner à nouveau dans la société.
L’objectif de la maison de transition est d’aider les détenus à se réinsérer dans la société d’une manière forcée

Donner un sens à la vie des détenus - ou formater des individus ?- sans leur laisser le choix, parce que faut pas déconner tout de même...
On ne sait plus si on doit rire ou pleurer, entre le questionnement métaphysique sur le sens de la vie et une fonctionnalité de l’individu dans la société « et toi, à quoi tu sers ? ».
Mais à travers ces phrases, se lit toute une violence de notre société néo-libérale :

  • L’ex-détenu doit avant tout trouver du boulot et un logement pour ainsi redevenir un bon citoyen obéissant, c’est-à-dire un bon consommateur qui fonctionne ?
  • L’État sait ce qui est mieux pour les détenus, cette réinsertion se fera de manière forcée et sans que les premiers concernés aient leur mot à dire.
  • Et si l’État consent à aider un détenu, c’est seulement si ce dernier accepte au bout du compte de se prendre en charge : se dessine ici un individualisme forcené qui nie tout déterminisme social et communautaire et refuse de considérer toutes les discriminations que subit un.e détenu.e une fois hors de prison.
    Dehors, à toi de te débrouiller tout seul, comme tout le monde. Même si le premier mois tu n’as droit à aucune aide (même pas le CPAS) sinon les 40 €/mois de la caisse de solidarité de la prison pour te loger et te nourrir...

3. Et au fait, QUI va y travailler ?

Les détenus seront encadrés et suivis 24h/24 et 7j/7 des travailleurs sociaux, des psychologues et des criminologues, … qui appartiennent au groupe G4S Care.

Oui, G4S. Les mêmes silhouettes sinistres que l’on voit patrouiller dans les centres commerciaux, qui gèrent le gardiennage de casernes de militaires, la sécurité d’aéroport ou encore la gestion de centres d’accueil pour migrants. G4S a ainsi réussi à décrocher le contrat de gestion des deux maisons de transition, c’est-à-dire de deux prisons.
La privatisation du système carcéral continue sa marche en avant : après la construction et l’entretien des prisons par le secteur privé via les PPP (comme dans le cas de la construction de la maxi-prison de Haren), une société privée obtient la gestion quotidienne de prisons et la sécurisation des détenu.e.s, tout en empochant une belle somme.

Chez G4S, il n’y a pas de maton : on parlera plutôt de coach de vie et de coach de force. Ces derniers auront pour fonction de « travailler vigoureusement ensemble ainsi qu’avec les employés, le réseau social des détenus et les bénévoles ». Chez G4S, on ne tabasse pas les détenus, on les travaille vigoureusement au corps.
D’ailleurs, chez G4S il n’y pas de détenus, il y a des clients.

« Vous stimulez la coopération, vous vous concentrez sur les forces du client,
Vous servez de point de contact pour les clients.
Vous vous concentrez sur les points forts du client et vous l’encadrez dans cette démarche [...] »
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Ces changements sémantiques ne sont pas sans nous effrayer. Ira-t-on bientôt en prison comme on fait ses courses au supermarché ? L’introduction du secteur privé dans le système carcéral nous apparaît comme un pas franchi vers encore plus de violence et d’injustice.

4. Un leurre apaisant ...

De nombreuses associations et acteurs du secteur ont applaudi des deux mains, parfois en émettant du bout des lèvres quelques réserves sur la privatisation du système carcéral : enfin une réforme de la prison qui va dans la bonne direction, enfin une solution au problème de la surpopulation, enfin un remède à la récidive !

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En réalité ces maisons de transition sont inutiles :
2 maisons de 15 places sur plus de 10.000 détenu.e.s en Belgique,
c’est une goutte d’eau dans l’océan,
c’est comme pisser dans une contrebasse.

Et même si les projets-pilotes sont validés, le Masterplan évoque une extension à cent places uniquement, cela reste négligeable et l’on doute que l’État trouve encore des budgets pour construire des prisons après la vague de béton qui se terminera en 2024 par les prisons de Haren, Anvers, Vresse-en-Semois, Verviers et Bourg-Léopold.

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En réalité ces maisons de transition sont dangereuses :
en confiant au privé la gestion des prisons,
on fait entrer le loup dans la bergerie.

Il suffit de se tourner vers les États-Unis pour comprendre la brutalité du complexe industrialo-carcéral : les entreprises privées demanderont toujours plus de détenu.e.s pour remplir et rentabiliser leurs prisons et ainsi disposer d’une main-d’œuvre extrêmement bon marché. G4S a ainsi déjà annoncé être candidat à la poursuite des projets-pilotes, flairant les bénéfices importants à engranger.

A contrario, les outils pour mieux réinsérer les prisonniers sont connus : il s’agit de
la libération conditionnelle et de la détention limitée :
différentes études en Belgique et à l’étranger ont démontré que "la libération conditionnelle avait un impact positif sur le risque de récidive" et que "la privation de liberté a un impact négatif sur la récidive au fur et à mesure que cette privation de liberté tend à s’allonger" . En effet, les libérations conditionnelles sont des mesures évaluées positivement car elles facilitent la réinsertion. Le risque de retour en prison est plus faible pour les détenus qui ont bénéficié de ces libérations. (OIP - section belge, Notice 2016)

Mais les exceptions continuent à dicter leur tyrannie : quand ce n’est pas la possibilité de libération conditionnelle de Marc Dutroux, c’est un fait divers tragique à Liège où un détenu en congé pénitentiaire tue trois personnes. Depuis, les Tribunaux d’Application des Peines sont plus sévères et les détenu.e.s restent plus longtemps derrière les murs des prisons. On comprend mieux le sourire de Koen Geens lors de l’inauguration de la maison de transition de Malines : faire semblant d’apporter une solution au problème de la récidive tout en évitant d’être traité de laxiste. Toutes les prisons « amplifient la délinquance et la criminalité », les maisons de transition n’étant que de la poudre aux yeux, enième mirage inventé par le monde politique pour faire croire que le système carcéral peut être réformé et devenir "plus humain". Sous un vernis humaniste, les maisons de transition n’ont pour seule vocation que d’enfermer toujours plus et plus longtemps.

Prétendre réinsérer dans la société et resocialiser des détenus alors même que « la prison désocialise par la séparation, les privations, la subordination et l’infantilisation permanente » n’est qu’une farce. Au lieu d’envoyer certains détenus en maison de transition pour faire croire que l’État prend en charge le problème et pour se donner bonne conscience, il serait bon de se poser la question de l’abolition de la prison et de laisser place à de VÉRITABLES alternatives au système carcéral et pénal.

PNG"G4S et le complexe industrialo-carcéral"

Sources :

https://www.koengeens.be/fr/news/2019/09/09/la-premiere-maison-de-transition-belgeouvre-ses-portes-a-malines

(1)https://travaillerchezg4s.be/career/10278-02S000403P-Coach-de-force-or-Maison-detransition-or-Enghien
https://travaillerchezg4s.be/career/10278-02S000402P-Coach-de-vie-or-Maison-detransition-or-Enghien

https://justice.belgium.be/fr/nouvelles/autres_communiques_118

http://oipbelgique.be/fr/wp-content/uploads/2017/01/Notice-2016.pdf

https://infokiosques.net/IMG/pdf/la_prison_est-elle_obsolete-pageparpage.pdf