Notre réplique à la réponse lapidaire de Philippe Close à notre courrier précédent.
Monsieur le Bourgmestre,
Nous avons bien reçu votre réponse et vous en remercions. Elle a retenu toute notre attention.
Nous notons une inflexion positive dans votre propos, en lisant que vous confirmez simplement l’existence du projet sans en affirmer un soutien. Cela nous semble constituer une bonne nouvelle, car il y a quelques années encore, vous nous aviez indiqué que l’état de délabrement des prisons de Saint-Gilles, Forest et Berkendael justifiait leur démolition et nécessitait le projet Bruxelles-Haren, fut-il un partenariat public-privé dont la réalisation ruinerait un peu plus la justice tout en excluant plus encore les détenus et en dévastant l’un des derniers grands espaces naturels de Bruxelles.
Nous ne lisons plus ce propos dans votre réponse que nous considérons dès lors comme une ouverture utile et pertinente.
Il nous semble que plusieurs éléments méritent encore discussion.
Tout d’abord et comme vous le savez, le projet de maxi-prison de Bruxelles-Haren n’émane pas uniquement du niveau fédéral puisqu’un accord a été trouvé dès 2007 entre le fédéral, la région et la commune de Bruxelles en ce qui concerne la localisation d’une hypothétique nouvelle prison dans la commune dont vous avez désormais la charge. C’est votre prédécesseur le bourgmestre Thielemans, qui avait suggéré l’utilisation du terrain du Keelbeek, percevant le monde avec la grille d’analyse dont il avait hérité et n’étant dès lors pas en mesure d’apercevoir la nécessité de maintenir vivant cet espace vert indispensable à Bruxelles. Il est clair désormais pour toute personne désirant regarder sans ornière et sans déni, qu’il est vital de maintenir et créer des capacités de résiliences pour la capitale, notamment en préservant tous ses sols vivants de l’artificialisation.
La commune n’a pas donc été simple spectatrice dans ce dossier, mais bien actrice à part entière, avec cette proposition de terrain.
Elle l’a été plus tard encore lorsque le bourgmestre Mayeur a utilisé le levier que lui fournissait le réalignement et la suppression des sentiers du Keelbeek pour obtenir quelques aménagements au permis d’urbanisme. Lui n’a toutefois pas utilisé la totalité des possibilités que lui fournissait l’enquête publique puisque par exemple, la commune n’a pas repris l’argumentation de l’exposition des détenus et des travailleurs au bruit de l’aéroport dans l’avis remis à la commission de concertation.
Le problème du bruit est d’autant plus important que, comme vous l’avez vu, le Conseil d’état a décidé d’interdire l’enfermement des enfants à Steenokerzeel précisément parce que l’exposition au bruit de l’aéroport constitue un traitement inacceptable pour les enfants et potentiellement les détenus.
Nous n’avons eu de cesse de soulever ce problème pour la prison depuis 2013 : enfermer 1190 personnes au Keelbeek où les normes de bruit sont quotidiennement dépassées va immanquablement poser des problèmes sérieux et inévitables de conditions de détention. Nous regrettons vivement que le bourgmestre précédent n’ait pas fait sien cet argument important lorsqu’il s’adressait à la Commission de concertation.
Nous vous demandons de le faire et de vous adresser en ce sens au gouvernement régional. Vous avez indiqué dans la presse entretenir d’excellentes relations avec le ministre-président votre collègue, et il nous semble nécessaire de faire valoir cet argument bruyant auprès de lui.
Il est en effet inévitable qu’une prison de taille démesurée poserait des problèmes de salubrité et de sécurité si elle venait à être ouverte. Que feriez vous par exemple, en tant que responsable en dernier ressort, d’une aussi gigantesque prison s’il était établi que les conditions de détention qu’elle organisait devaient constituer des traitements inhumains et dégradants ? C’est ce qui risquerait très probablement d’arriver vu le bruit intense des avions, l’éloignement du palais de justice, et le caractère high-tech déshumanisant de ce mastodonte semi-privatisé.
La sécurité de ce complexe est décidément un problème qui regarde la commune, et qui vous interpelle donc. En outre, nous vous avons demandé à plusieurs reprises, depuis des années, de rendre public le plan d’évacuation de la maxi-prison qui est, rappelons-le, enclavée entre deux lignes de chemin de fer sur lesquelles transitent des matières dangereuses, des sites Sevezo, une centrale électrique, une centrale de gaz et un dépôt de carburant, entre autres « hot spots ». Nous avons la confirmation officielle que ce plan n’existe pas. Vous ne nous avez toujours pas indiqué comment il serait possible d’évacuer 1190 détenus, 800 travailleurs et des centaine de visiteurs en cas d’accident. Par où les évacuer, avec quels moyens de transports, pour les amener où et dans quelles conditions de sécurité ?
Bien loin d’être un détail, cet élément qui vous regarde au premier chef, indique bien à quel point ce projet a été mal pensé et fait peser un risque sérieux sur la sécurité publique. Nous attendons votre réponse concernant ce plan d’évacuation.
Dans l’intervalle, il nous semble irresponsable de permettre la poursuite du début des travaux de ce mastodonte alors qu’à ce jour, personne n’est en mesure d’envisager la possibilité de son évacuation en cas de besoin. S’agit-il de construire une maxi-prison qui ne pourra jamais être mise en service ?
Quel est votre point de vue en tant que responsable en dernier ressort de la sécurité sur le territoire bruxellois ?
Vous soulignez encore Monsieur le Bourgmestre, que le pouvoir fédéral justifie ce projet en affirmant que « la prison de Forest étant devenue trop exiguë et obsolète. »
Le masterplan de 2008 sur lequel est supposé reposer la maxi-prison quoi que ce masterplan ne prévoyait ni la localisation à Haren ni la démesure de 1190 places, ni un financement PPP - indiquait le remplacement des prisons bruxelloises actuelles. Celles de Forest, mais également celle de Saint-Gilles et celle de Berkendael.
Vous ne parlez plus que de celle de Forest. Des informations convergent de multiples canaux et indiquent qu’il n’est plus question de fermer la prison de Saint-Gilles, dans laquelle des travaux de rénovation de plusieurs dizaines de millions d’euros ont d’ailleurs été fait au cours des années passées.
Ce serait là la répétition d’une méthode classique du système carcéral que de promettre le remplacement d’anciennes prisons par de nouvelles et finalement de conserver les anciennes en maintenant ainsi le désastre et y ajoutant la catastrophe des nouveaux établissements. Le nombre de cellules a ainsi explosé au cours des trente dernières années, alors que la criminalité a diminué.
Enfin, en tant qu’homme politique membre du Parti Socialiste, ce rôle vous implique dans la représentation de certaines valeurs et dans le souci global du bien-être de la collectivité. Ce projet de méga-prison se trouve totalement aux antipodes des préoccupations sociales brandies par votre parti et vous-même. Nombre de détenus et d’experts du milieu carcéral ont donné le signal d’alarme concernant cette persistance dans le système carcéral et cette prison prévue à Haren en termes de conséquences sociales. Votre parti le rappelle d’ailleurs en déclarant que le renforcement du système carcéral "n’est guère efficace ; pire, il s’avère néfaste tant pour le condamné que pour la société" (12ème engagement). Nous entendons souvent ces derniers temps qu’il faut se rappeler l’humain qu’il y a derrière l’homme ou la femme politique. Nous y faisons appel, ainsi qu’à votre regard critique des rouages sociétaux. Vous ne pouvez pas vous morceler à l’instar des niveaux de pouvoirs en Belgique, vous avez le devoir d’être connecté avec ces parties de vous-même. Ainsi, nous demandons que vous preniez position en tant que personne entière contre ce projet.
Dès lors Monsieur le Bourgmestre, en tant qu’élu, en tant que responsable politique, vous ne pouvez pas attendre que votre renvoi de la préoccupation citoyenne vers un autre niveau de pouvoir puisse constituer une réelle réponse et encore moins un début de solution. Jouer ce jeu ne permet plus de maintenir le status quo, il est révolu. Désormais, cette option produit un seul effet, palpable, qui est celui de saper la légitimité du système que les élus, dont vous faites partie, représentent.
Ce que nous voulons vous expliquer Monsieur le Bourgmestre, c’est que vous ne pouvez pas espérer de nous que nous acceptions votre réponse, quoi qu’elle contienne les éléments positifs que nous avons déjà soulignés, ni que nous nous satisfassions de la gestion actuelle de ce dossier. Nous attendons de vous une attitude responsable et cohérente, pas un bidouillage façon politique du 20ème siècle.
Pour résumer, nous demandons le plan d’évacuation, une prise de position publique en cohérence avec les valeurs sociales brandies par vous-même et votre parti, une précision quant à l’avenir de Saint-Gilles et sans doute à ces effets, une rencontre.
Nous sommes certains que vous êtes convaincu de notre détermination totale à bloquer ce projet. Nous n’aurons de cesse de le rendre impraticable car nous le jugeons toxique et néfaste. A nos objections, nous n’avons jamais reçu de réponse valable qui aurait pu nous faire changer d’avis. Nous n’avons jamais lu d’argumentation étayée et sérieuse qui viendrait en appui de la logique passéiste qui soutient si faiblement ce projet obsolète avant même d’être sorti de son carton. C’est la raison de notre engagement, c’est la raison de la pression continue qui s’exerce et qui continuera de s’exercer sur ce projet toxique et ses promoteurs, et c’est la raison pour laquelle la maxi-prison n’ouvrira pas. Ses bases légales et politiques sont trop faibles pour résister à la pression citoyenne continue. Et ce n’est pas en envoyant la police, qui plus est de manière illégale, que la légitimité de ce projet néfaste pourra grandir.
Dès lors il nous semble que vous avez la possibilité, ainsi que les collègues de votre parti, de tourner le dos aux citoyens, de tenter vainement de les rouler dans une farine qui ne fait plus de pain, et en même temps de tourner le dos aux défis de ce siècle. Ou bien de les écouter et de sortir de l’ornière dans laquelle vous risquez d’échouer, celle du système carcéral qui ne produit pas de justice mais plus d’exclusion sociale, celle également du système productiviste qui détruit le lien social et la nature, nous menaçant tous.
Cher Bourgmestre, pour toutes ces raisons, nous vous demandons de vous engager davantage contre ce projet. Nous restons à votre disposition pour revenir avec vous de vive voix à ces sujets qui nous concernent et nous engagent tous.
Dans l’attente de cette rencontre et restant totalement mobilisés pour sortir du désastre carcéral et créer des capacités de résilience à Bruxelles, nous vous prions d’agréer nos meilleures salutations.
Collectifs du Keelbeek et de Haren Observatory